Fiche thématique n°6 : Les perspectives de relance du nucléaire

Le mix électrique français repose actuellement pour environ 70% environ de sa production, sur le parc électronucléaire, composé de 56 réacteurs répartis dans 18 centrales. Il est actuellement de ce fait l’un des moins émetteurs de carbone au monde parmi ceux des pays industrialisés. Le parc nucléaire français a majoritairement été construit sur une courte période d’environ une quinzaine d’années, de la fin des années 1970 au début des années 1990. De ce fait, la perspective de la mise à l’arrêt dans les deux décennies à venir, sur une période relativement brève, d’une majorité des réacteurs actuellement en fonctionnement doit ainsi être anticipée et préparée.

Dans cet objectif, la programmation pluriannuelle de l’énergie 2019-2028 (PPE2) a demandé à la filière nucléaire d’étudier les modalités de production de nouvelles capacités :

  • Le réacteur de type EPR2, développé par EDF, constitue la technologie disponible à court terme sur le segment de forte puissance (environ 1 650 MW). Il est adapté aux caractéristiques du réseau électrique français.
  • Le développement de petits réacteurs modulaires (SMR – pour small modular reactor), d’une puissance plus faible inférieure à 300 MW, a été également engagé à des phases de maturité moins avancées, avec notamment le soutien des plans France Relance et France 2030. Cette offre de faible puissance pourrait venir compléter celle des réacteurs de forte puissance et serait également destinée à l’export.

Les EPR2

L’EPR2 est un nouveau modèle de réacteur nucléaire de forte puissance développé par EDF à partir de l’EPR (Evolutionary Power Reactor), réacteur à eau pressurisée de 3ème génération. Il intègre le retour d’expérience des projets EPR de Flamanville 3 en France, Olkiluoto 3 en Finlande, Taishan 1 et 2 en Chine et Hinkley Point C1 et 2 au Royaume-Uni afin d’améliorer sa constructibilité et de faciliter son exploitation. L’EPR2 intègre les exigences accrues post-Fukushima en matière de sûreté nucléaire. Son niveau de conception a atteint fin 2021 le stade de basic design, un effort d’ingénierie substantiel restant nécessaire pour atteindre le niveau de maturité requis pour la construction.

Conformément aux demandes de la PPE2, le Gouvernement a procédé, dans le rapport « Travaux relatifs au nouveau nucléaire – PPE 2019-2028 », publié en février 2022, à un premier examen de la proposition industrielle d’EDF consistant à construire 3 nouvelles paires d’EPR2 (soit 6 réacteurs), avec des éléments d’analyse sur les coûts de ce programme, les capacités de la filière dans sa globalité à construire les nouveaux réacteurs, et les conséquences du renouvellement du parc sur le cycle du combustible et la gestion des déchets nucléaire. L’objectif de mise en service du premier réacteur est à ce stade envisagé à l’horizon des années 2035-2037.

EDF estime le coût de construction d’un tel programme de 3 paires d’EPR2 à environ 52 Mds€2020, hors coûts de financement. Ce montant s’étalerait sur une durée totale de construction de près de 25 ans, pour une durée de fonctionnement des réacteurs estimée par EDF à 60 ans à compter de leur mise en service. Il comprend notamment diverses provisions pour risques, aléas et incertitudes par rapport au programme sans marge. La robustesse de ces estimations à date a été confirmée par des audits externes commandés par le Gouvernement en 2019 et 2021 au regard du stade de maturité du projet. Un nouvel audit des coûts, des risques et du calendrier devra être mené, conformément au rapport « Travaux relatifs au nouveau nucléaire – PPE 2019-2028 ». Ce montant a toutefois susceptible d’évoluer avec la mise à jour des conditions économiques de réalisation effective et la progression de la maturité du design de l’EPR2.

Le coût de revient de l’électricité produite dépendra des coûts de construction et d’exploitation, mais aussi des coûts de financement de l’investissement. À titre illustratif, les auditeurs ont réalisé, lors du premier audit, une première estimation à date de ce coût actualisé : il serait de l’ordre de 40 €2020/MWh pour un coût de capital de 1%, de l’ordre de 60 €2020/MWh pour un coût du capital de 4% et de l’ordre de 100 €2020/MWh pour un coût du capital de 7%. Le Gouvernement étudie les différentes modalités de financements et de régulation. Celles-ci devraient devront faire l’objet d’un échange avec la Commission européenne, pour s’assurer de leur bonne adéquation au droit européen en matière d’aide d’Etat et de concurrence.

Les déchets nucléaires qui résulteraient de la mise en place de ce programme de 6 EPR2 sont similaires à ceux produits par le parc actuel. Il n’est pas identifié d’élément rédhibitoire à leur accueil dans les stockages existants ou en projet.

La capacité de la filière nucléaire à mener techniquement à bien le programme dans des conditions économiques satisfaisantes constitue un enjeu important. Des plans d’action ont été engagés au sein de la filière pour assurer la maîtrise industrielle du programme. Les pouvoirs publics conduiront des audits visant à apprécier leur portée et leur efficacité.

Les enjeux locaux d’implantation de nouveaux réacteurs ont amené EDF a pré-identifier de potentiels sites d’installation en privilégiant les centrales existantes. Les concertations avec les territoires concernés, qui seront conduites sous l’égide de la CNDP, seront un enjeu important du succès du programme.

Les petits réacteurs modulaires (SMR)

Les petits réacteurs modulaires (ou Small Modular Reactor - SMR) sont des réacteurs nucléaires d’une puissance généralement équivalente ou inférieure à 300 MW, qui reposent sur une conception simple et modulaire permettant une production industrialisée. La petite taille des SMR permet de concevoir des réacteurs facilement transportables sur site une fois assemblés, et ainsi de diminuer les coûts, la durée et les risques associés à un chantier de construction. Ces réacteurs sont conçus pour compléter l’offre nucléaire classique de grande puissance. Si un déploiement de tels réacteurs en France est envisageable, ils seraient également destinés à l’export.

L’intérêt international pour le marché des SMR est croissant au cours des dernières années, même si des incertitudes subsistent. Plus de 70 concepts de SMR sont aujourd’hui en cours de développement dans le monde, à des stades de maturité divers.

La filière nucléaire française travaille depuis 2016 sur le projet Nuward de développement d’un petit réacteur modulaire à eau pressurisée. Depuis septembre 2020, EDF est chef de file du projet avec le CEA, Naval Group et TechnicAtome comme sous-traitants stratégiques. Il s’agit du seul projet de R&D d’envergure concernant le développement industriel d’un SMR dans l’Union européenne. Le projet Nuward consiste en l’étude de faisabilité, la mise au point, le développement, l’industrialisation et la commercialisation à terme d’une centrale électronucléaire de 340 MW comprenant deux réacteurs modulaires de 170 MW chacun. L’association de quatre ou six réacteurs peut également être envisagée pour obtenir une puissance totale plus élevée. Le concept Nuward met en œuvre des principes de conception novateurs qui en font – selon EDF – le plus compact de sa catégorie.

La contribution précise des SMR à la production nucléaire à l’horizon de l’année 2050 pourra être déterminée lorsqu’ils auront atteint une maturité technologique et industrielle suffisantes. Le plan d’investissement France 2030 prévoit un soutien dédié au projet de SMR porté par la filière française, afin d’accélérer son déploiement avec l’objectif de démarrer la construction d’une première unité en 2030.

Au-delà des perspectives de contribution au mix énergétique domestique de 2050, l’investissement dans le projet Nuward ouvre deux perspectives d’avenir :

  • la filière nucléaire française pourrait conquérir des parts de marché importantes avec son SMR, en complément de son offre actuelle, en répondant aux besoins de sites isolés ou de zones dans lesquelles le développement du réseau électrique est insuffisant pour la grande puissance ;
  • le potentiel d’innovation est élevé sur ces gammes de puissance. Le plan France 2030 consacre 450 M€ au soutien à l’émergence de nouveaux concepts de réacteurs, les technologies SMR de rupture seront des candidats pertinents pour bénéficier de cette aide publique.

Les perspectives

L’étude de RTE « Futurs énergétiques 2050 » a comparé 6 scénarios possibles de mix énergétique à horizon 2050 visant à respecter nos objectifs de neutralité carbone à cette échéance. Trois de ces scénarios prévoient la construction de nouveaux réacteurs avec une capacité de nouveau nucléaire installée en 2050 allant de 13 GW (soit 8 EPR2) à 27 GW (soit 14 EPR2 et quelques SMR), correspondant à une part de nucléaire (y compris existant) dans le mix électrique comprise entre 26 et 50% en 2050.

La construction de 14 EPR2 à l’horizon 2050 envisagée par l’étude « Futurs énergétiques » dans ses scénarios N2 et N03 correspond au rythme industriel maximal de mises en service communiqué par les acteurs de la filière nucléaire lors de la concertation menée par RTE au cours de son étude.

Cette étude conclut notamment que :

  • Se passer de nouveaux réacteurs nucléaires implique des rythmes de développement des énergies renouvelables plus rapides que ceux des pays aujourd’hui les plus dynamiques ;
  • Les scénarios à très hautes parts d’énergies renouvelable, ou celui nécessitant la prolongation des réacteurs nucléaires existants au-delà de 60 ans, impliquent des paris technologiques lourds pour atteindre la neutralité carbone en 2050 ;
  • Les scénarios avec la construction de nouveaux réacteurs nucléaires et le maintien d'une part importante de nucléaire sont pertinent d'un point de vue économique ;
  • Le développement des énergies renouvelables soulève un enjeu d'occupation d'espace et de limitation des usages.

 

Les Trajectoires de développement de nouveaux réacteurs nucléaires envisagées dans les 3 scénarios avec nouvelles constructions.
Trajectoires de développement de nouveaux réacteurs nucléaires envisagées dans les 3 scénarios avec nouvelles constructions (Source : Chapitre 4 de l’étude « Futurs énergétiques 2050 » de RTE)

Selon le scénario N03 à savoir la trajectoire haute de construction de nouveaux réacteurs nucléaires (EPR2 et SMR),qui nécessite de mettre en service de 14 EPR et plusieurs SMR entre 2035 et 2050 pour atteindre une part de l’énergie nucléaire dans le mix de 50 % en 2050 (consommation de référence)
Selon ce scénario, la capacité des nouveaux réacteurs construits atteindra environ 3 GW en 2035, environ 6 GW en 2040, 15 GW en 2045, 27 GW en 2050, environ 35 GW en 2055 et environ 46 GW en 2060.

Selon le scénario N2 à savoir la trajectoire haute de construction de nouveaux EPR2, qui nécessite de mettre en service de 14 EPR entre 2035 et 2050 pour atteindre une part de l’énergie nucléaire dans le mix de 36 % en 2050 (consommation de référence).
Selon ce scénario, la capacité des nouveaux réacteurs construits atteindra environ 3 GW en 2035, environ 5 GW en 2040, 12 GW en 2045, 22 GW en 2050, environ 32 GW en 2055 et environ 37 GW en 2060.

Selon le scénario N1, à savoir la trajectoire basse de construction de nouveaux EPR2,qui nécessite de mettre en service 8 EPR entre 2035 et 2050 pour atteindre une part de l’énergie nucléaire dans le mix de 26% en 2050 (consommation de référence).
Selon ce scénario, la capacité des nouveaux réacteurs construits atteindra environ 3 GW en 2035, environ 5 GW en 2040, 10 GW en 2045, 12 GW en 2050, environ 16 GW en 2055 et environ 3720GW en 2060.

Enfin, le rythme historique de mise en service de capacité nucléaire de 1978 à 2002 a permis d’atteindre 25 GW en 1983, 47 GW en 1988, 55 GW en 1993, 55 GW en 1998 et 62 GW en 2002.

Au regard de l’étude « Futurs énergétiques 2050 » et du rapport « Travaux relatifs au nouveau nucléaire – PPE 2019-2028 », le Président de la République a annoncé, en février 2022, outre le développement massif des capacités de production renouvelables, son souhait que 6 nouveaux réacteurs de type EPR2 soient construits, pour une première mise en service à l’horizon 2035, et a demandé que des études soient lancées pour la construction de 8 réacteurs supplémentaires. Le Président de la République a également exprimé son souhait que le fonctionnement des réacteurs existants soit prolongé, sous réserve du respect des exigences de sûreté. L’objectif poursuivi est d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon de l’année 2050 en évitant les paris industriels plus risqués.

Enfin, le Président de la République a également annoncé le lancement d’un appel à projets du plan d’investissement France 2030 doté de 1 Md€ pour soutenir l’émergence d’une offre de SMR et de réacteurs nucléaires innovants.