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Transformation agricole et sylvicole pour assurer la neutralité carbone

Jean-Charles Piketty

09/12/2022 - 12h47

Les émissions de GES du secteur agricole ayant le plus fort impact réchauffant sont les émissions de méthane des bovins ; pour les réduire de 50 %, il est possible de diminuer le cheptel bovin de 50 % avec limitation de l’import/export de viande, de même pour les autres animaux. La diminution de la production signifie une augmentation équivalente du prix payé aux éleveurs sans impact sur le pouvoir d’achat des consommateurs qui réduisent leur consommation. Il faut donc réduire nos importations d’aliments pour animaux afin d’utiliser nos productions agricoles, cela réduirait de plus les transports internationaux consommateurs d’énergie et émetteurs de CO2. Grâce aux atouts de notre territoire, nous pouvons bâtir avec les agriculteurs et sylviculteurs un projet de redéfinition des exploitations pour produire les aliments nécessaires à la consommation humaine et animale du pays et d’autres productions, bois énergie et biogaz notamment. Les déchets biodégradables agricoles et ménagers doivent être quantifiés pour dimensionner les méthaniseurs en fonction des usages du biogaz prévus dans tous les secteurs. Nous devrions généraliser en ville la récupération des déchets ménagers et végétaux biodégradables pour compostage et/ou méthanisation permettant en plus de réduire les émissions de GES du traitement des déchets. Pour un mix énergétique avec forte proportion de renouvelables, le choix de l’énergie des centrales électriques de pointe doit être fait entre biogaz et/ou hydrogène compte-tenu des autres usages prévus du biogaz (chauffage…) avec un impact sur le nombre de méthaniseurs et nos capacités d’intrants. Les territoires spécialisés dans l’élevage peuvent réduire leur cheptel et agrandir leur capacité céréalière pour la nourriture de leurs animaux. Les grandes plaines de monoculture céréalière peuvent diversifier leurs surfaces : forêts + céréales + prairies pour l’élevage. L’extension des prairies et de la forêt augmente la capacité des puits de carbone naturels. Ainsi, si nous réduisons nos productions agricoles en nous concentrant sur nos besoins, nous pourrions libérer des surfaces pour une extension forestière. La capacité des forêts françaises à stocker le carbone s’effondre et a baissé de 48 % depuis 2010 passant de près de 59 Mt éqCO2 en 2010 à 30 Mt éqCO2 en 2020 comme indiqué page 79 du rapport du Haut Conseil sur le Climat (1). L’atteinte de la neutralité carbone sera plus difficile si l’on ne fait rien sur la forêt et il y a des enjeux de biodiversité. Nos émissions de GES seront positives en 2050, comprenant du CO2 et d’autres GES. La neutralité carbone consiste à être certain que nos émissions de GES positives seront compensées par les émissions négatives c’est-à-dire les GES capturés principalement par les forêts. Or, les forêts ne capturent que le CO2 et non pas les autres GES comme le méthane qui est émis en grandes quantités par les animaux d’élevage, bovins principalement. Il faut donc réduire les émissions de méthane dans l’élevage des animaux mais il faut aussi augmenter le puits de carbone des forêts pour capturer plus de CO2 et compenser les émissions de méthane non capturables. L’histoire de la forêt de France métropolitaine est une déforestation massive : du moyen âge à nos jours, la forêt passe de 40 à 16,8 millions d’hectares, soit de 72 % à 31 % de la surface du territoire (2). C’est bien de lutter contre la déforestation en Amazonie mais nous avons déforesté massivement la France métropolitaine et nous devons donc maintenant reforester pour atteindre la neutralité carbone. Pour assurer la neutralité carbone et relancer la biodiversité, nous pouvons créer une forêt primaire en cohérence avec les massifs forestiers et réservoirs de biodiversité existants. Il s’agit d’un réseau forestier en libre évolution (projet de Francis Hallé) offrant de plus une artificialisation des sols négative. On s’appuierait sur les massifs forestiers existants en y réservant une parcelle non exploitable, on créerait les nouveaux massifs forestiers et les ouvrages de franchissement des gros obstacles pour la faune et la flore comme les autoroutes, les lignes de TGV et de chemin de fer, et des connexions avec les autres pays. La forêt primaire pourrait démarrer de la forêt primaire de la Sainte Baume dans le Var et communiquer par couloirs et réservoirs à élargir et agrandir dans la trame verte afin d’essaimer sur tout le territoire national. Un fonds citoyen serait créé pour racheter des parcelles de terres forestières privées et des terres cultivables notamment dans les grandes plaines céréalières et d’anciennes carrières à ciel ouvert à revégétaliser. Le fonds citoyen est alimenté par une composante Climat et Développement Durable ajoutée à l’impôt sur le foncier et sur les successions dont le principe est expliqué dans ma contribution libre au Thème 3. Les citoyens seraient propriétaires à vie de cette forêt primaire qui offre aussi un intérêt éducatif et touristique. La compensation carbone des entreprises françaises pourrait être réalisée par cette forêt non exploitée en France, c’est une compensation vérifiable. De plus on doit vérifier la soutenabilité de la ressource en bois de notre territoire, bois de construction, bois de chauffage, granulés de bois et autres utilisations. Un travail cartographique sur l’utilisation des terres est indispensable pour concilier les nouvelles productions agricoles et forestières, le développement industriel, la construction des parcs éoliens et solaires, la création de la forêt primaire, etc. Le solaire sur les toits des villes et sur réseaux routiers sans artificialisation des sols naturels ou cultivables est bien plus soutenable. De même pour l’éolien de moyenne puissance le long des réseaux routiers avec peu d’impact sur les paysages. (1) https://www.hautconseilclimat.fr/publications/rapport-annuel-2022-depas… (2) http://foret.chambaran.free.fr/index.php?page=historique